Les armes à la main, les talibans interdisent l’université aux femmes
Les autorités talibanes ont ordonné mardi l’interdiction de l’enseignement universitaire en Afghanistan pour les filles, et ceci pour une durée indéterminée, a annoncé le ministère de l’enseignement supérieur dans une lettre adressée à toutes les universités gouvernementales et privées du pays. «Vous êtes tous informés de mettre en œuvre l’ordre mentionné de suspendre l’éducation des femmes jusqu’à nouvel ordre», selon la lettre publiée par le ministre de l’Enseignement supérieur, Neda Mohammad Nadeem. Le porte-parole du ministère, Ziaullah Hashimi, qui a tweeté la lettre, a également confirmé l’ordre auprès de l’AFP.
L’interdiction de l’enseignement supérieur intervient moins de trois mois après que des milliers de filles et de femmes ont passé les examens d’entrée à l’université dans tout le pays. Les filles étaient déjà privées d’accès aux écoles secondaires.
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Gardes devant les campus
Mercredi, des centaines de jeunes femmes ont été empêchées mercredi par des gardes armés d’entrer dans les campus universitaires en Afghanistan. Des journalistes de l’AFP ont vu un groupe d’étudiants rassemblés devant les grilles fermées de l’entrée de l’université à Kaboul, également bloquée par des gardes armés, pour les empêcher d’y pénétrer. «Nous sommes condamnées nous avons tout perdu», a indiqué une étudiante refusant d’être identifiée. Les hommes également partageaient la détresse des étudiantes.
Female students protesting against Taliban’s decision to ban females from university education.
One of them shouts loudly and says why we should accept the Taliban’s decision. She says “if they kill us, does not matter, but we will fight.”#Afghanistan #women #Taliban pic.twitter.com/jkb4NofKh2
— Natiq Malikzada (@natiqmalikzada) 21 décembre 2022
«Cela illustre leur analphabétisme et leur ignorance dans l’islam ainsi que le peu de respect dans les droits humains», a indiqué un étudiant refusant sous couvert d’anonymat. «Non seulement moi, mais tous mes amis sont sans voix. Nous n’avons pas de mots pour exprimer nos sentiments. Tout le monde pense à l’avenir inconnu qui l’attend», a réagi Madina, une étudiante sous couvert d’anonymat. «L’espoir nous a été enlevé. Ils ont enterré nos rêves», a commenté désespérée l’étudiante auprès de l’AFP.
Kandahar and Nangarhar male students boycotted their exams and joined the protest against the Taliban’s recent decision to ban girls from higher education. pic.twitter.com/ka2omSUIyl
— AfghanistanTimes (@AfghanistanTime) 21 décembre 2022
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«Condamnées chaque jour»
Après la prise de contrôle du pays par les talibans en août 2021, les universités ont été contraintes d’adopter de nouvelles règles, notamment pour séparer filles et garçons pendant les heures de classe. La gent féminine était autorisée à recevoir des cours, mais seulement s’ils étaient enseignés par des femmes ou des hommes âgés. Cette nouvelle interdiction intervient moins de trois mois après que des milliers de filles et de femmes ont passé les examens d’entrée à l’université dans tout le pays. Nombre d’entre elles aspiraient à choisir entre des carrières d’ingénieur ou de médecin, bien que privées d’accès aux écoles secondaires.
A leur retour au pouvoir après 20 ans de guerre avec les Américains et les forces de l’Otan, les talibans avaient promis de se montrer plus souples, mais ils sont revenus à l’interprétation ultra-rigoriste de l’islam qui avait marqué leur premier passage au pouvoir (1996-2001). Depuis 16 mois, les mesures liberticides se sont multipliées en particulier à l’encontre des femmes qui ont été progressivement écartées de la vie publique et exclues des collèges et lycées. «Nous sommes condamnées, chaque jour. Alors que nous espérions progresser, on nous met à l’écart de la société», a déploré mardi Reha, une autre étudiante.
Dans une volte-face inattendue, le 23 mars, les talibans avaient refermé les écoles secondaires quelques heures à peine après leur réouverture annoncée de longue date. Divers membres du pouvoir avaient déclaré qu’il n’y avait pas assez d’enseignants ou d’argent mais aussi que les écoles rouvriraient une fois qu’un programme d’enseignement islamique aurait été élaboré.
En plus d’être privées d’étudier, les femmes sont également bannies de la plupart des emplois publics ou payées une misère pour rester à la maison. Elles n’ont pas le droit non plus de voyager sans être accompagnées d’un parent masculin et doivent se couvrir d’une burqa ou d’un hijab lorsqu’elles sortent de chez elles. En novembre, les talibans leur ont également interdit d’entrer dans les parcs, jardins, salles de sport et bains publics.
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Décision «barbare»
Les manifestations de femmes sont devenues risquées. De nombreuses manifestantes ont été arrêtées et les journalistes sont de plus en plus empêchés de couvrir ces rassemblements. La communauté internationale a lié la reconnaissance du régime taliban et l’aide humanitaire ainsi que financière, dont l’Afghanistan a absolument besoin, au respect par les talibans des droits humains, en particulier ceux des femmes à être éduquées et à travailler.
Les Etats-Unis ont condamné mardi dans les «termes les plus fermes» une décision «barbare» qui aura des «conséquences significatives pour les talibans», a prévenu le porte-parole du département d’Etat américain, Ned Price. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit «profondément alarmé». «Le refus de l’éducation non seulement viole l’égalité des droits pour les femmes et les filles, mais aura un impact dévastateur sur l’avenir du pays», assure son porte-parole Stéphane Dujarric dans un communiqué.
The UN family in #Afghanistan shares the outrage of millions of Afghans and condemns Taliban decision to suspend women from university.
We call for an immediate reversal of the decision & all other restrictions against women & girls.
Read Statement: https://t.co/T6z9SYOftr
— UNAMA News (@UNAMAnews) 21 décembre 2022
De son côté, le Pakistan s’est dit «déçu» par la décision de son voisin. Son ministre des Affaires étrangères, Bilawal Bhutto Zardari, a cependant estimé que la meilleure approche «malgré de nombreux revers en matière d’éducation des femmes et d’autres choses, passe par Kaboul et par le gouvernement provisoire».